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Perspectives Sud-Coréennes2006 ⇀ images . vidéo





Je me suis rendu en Corée du Sud en avril 2006, sur l'invitation d'un ami originaire de là-bas. J'y ai été chaleureusement accueilli par sa famille et ses amis de Séoul. Pourtant, mon séjour se révéla difficile.

Si le régime totalitaire de Corée du Nord a fort mauvaise presse en nos contrées, on parle beaucoup moins du modèle socio-économique qui régit la Corée du Sud : une forme de frénésie ultra-libérale qui a certes permis à cette partie de la péninsule de s'extraire du Tiers-Monde et d'égaler rapidement le niveau de vie des pays occidentaux, mais où l'individu, ployant sous le rythme de travail et la pression sociale, doit s'aliéner, peut-être pas dans une moindre mesure que son frère du Nord, pour rester intégré et fonctionnel. Frénésie à laquelle se juxtapose plutôt que s'oppose le poids des traditions, des hiérarchies et des obligations familiales auxquelles il faut de bonne grâce se soumettre... Si bien que du monde du travail à l'intimité de la famille, l'individu ne semble trouver aucun répit, sinon en multipliant les verres de soju — quitte à finir la nuit en décompression totale, endormi sur un trottoir... Visuellement, cela se traduit souvent par des espaces surchargés, saturés de couleurs, de motifs et d'informations. Une foule incessante, infatigable. Le stéréotype de la fourmilière — justifié.

Dans ces conditions, en tant que photographe français un peu malmené par ce mode de vie, mais aussi par affection pour les Coréens courageux et amicaux que j'avais rencontrés, par admiration pour la vitalité de ce peuple, jadis pressé entre le géant chinois et le géant japonais, se maintenant désormais, pressé entre une guerre fantôme et fratricide contre le Nord et la présence bien réelle et dominatrice des troupes américaines, j'ai cherché des perspectives. Des respirations.

Souvent les perspectives s'avéraient complexes, voire bouchées, les respirations difficiles, sinon mélancoliques... Qu'il s'agisse du palais de Changdeok avec un visiteur incliné dans un coin, comme en révérence aux ancêtres ; de touristes rassemblés au parc d'Imjin-gak près de la frontière nord-coréenne, entouré de militaires gardant le Freedom Bridge et la Bell of Peace, entre autres réjouissances orwelliennes ; d'une jetée sur la mer de Chine que les Sud-Coréens, agacés, préfèrent nommer mer Jaune ; des bureaux surchargés du Hankyoreh, seul journal d'opposition, souhaitant la réunification des deux Corées ; ou d'un retour pluvieux et anticipé vers l'aéroport d'Incheon... Pour autant, j'espère que ces images rendent la finesse et la délicatesse propres à la Corée : en potentiel, un pays paisible et raffiné — comme unifié.
I went to South Korea in April 2006, at the invitation of a friend originally from there. His family and friends from Seoul welcomed me warmly. Yet, my stay proved to be difficult.

The totalitarian regime of North Korea gets very bad press back home, but we talk a lot less about the socio-economic model that governs South Korea: a form of ultra-liberal frenzy that indeed allowed this part of the peninsula to extricate itself from the Third World and quickly match the living standards of Western countries; but where the individual, bending under the pace of work and social pressure, is to be alienated - perhaps to the same extent as their northern brother. Add to this frenzy the weight of the traditions, hierarchies and familial obligations to which one must submit gracefully. From the world of work to the privacy of the family, the individual seems to find no respite, save for drinking copious glasses of soju as an escape - and at the risk of ending the night seriously intoxicated and asleep on a sidewalk... Visually, it often results in overcrowded spaces, saturated colors, patterns and information. Incessant crowds, tireless. The stereotype of an anthill - and quite rightly so.

As a French photographer, under these conditions, I felt somewhat battered by this lifestyle, but also full of affection for the brave and friendly Korean people I had met. I was full of admiration for the vitality of this country, once pressed between the Chinese giant and the Japanese giant, and now squeezed between the ghost of a fratricidal war against the North and the real and domineering presence of US troops. I then looked for perspectives… to breathe.

Often the perspectives seemed to be complex or clogged, the breathing difficult, if not melancholic… Be it the Changdeokgung Palace with a visitor leaning down into a corner, as in reverence to ancestors ; tourists gathered at the Imjin-gak park near the North Korean border, surrounded by soldiers guarding the
Freedom Bridge and the Bell of Peace, among other Orwellian festivities ; a pier on the East China Sea that the South Koreans, irritated, refer to as the Yellow Sea ; overloaded Hankyoreh offices, the only opposition newspaper wishing the reunification of the two Koreas ; or a rainy and early return to Incheon Airport... However, I hope that these images do justice to the finesse and delicacy specific to Korea: with the potential to be a peaceful and refined country - unified, even.
Oublier Séoul, devant la mer Jaune
Vidéo, 2008.


Oublier Séoul, devant la mer Jaune est une vidéo réalisée à partir de fichiers audiovisuels (.AMR et .3GP) enregistrés avec mon téléphone portable, lors de ce séjour en Corée du Sud. Le texte en sous-titres et la partie piano ont été composés de retour en France. Cette vidéo a été diffusée en décembre 2008, dans le cadre de l'exposition SOS-art.com - Collectif d’artistes multimedia, à l'Avant-Rue, Paris, France.